Liminaire : Les guichets uniques dont on parle ici n'ont rien à voir avec les Guichets d'entreprises. Ces guichets d'entreprises sont certes une initiative de l'UE mais ils sont l'émanation de la directive du 12 décembre 2006 relative aux marchés intérieurs et la compétence nationale est créée depuis 2015. Leur enjeu porte sur l'harmonisation des services publics pour les entreprises et la facilitation de création d'entreprises, mais on a déjà du pain sur la planche avec nos informations réglementaires.
Le guichet unique, ou plutôt les guichets uniques, constituent un objet de débat inépuisable. Par l'harmonisation des pratiques et des données, c'est l'un des Graals logistiques vers la fluidification des échanges. À l'échelle internationale, l'UNECE a formalisé depuis 2005 la Recommandation n° 33 pour définir sa vision des guichets uniques et de leur implémentation. À l'échelle européenne, l'EMSWe, un cousin de l'eFTI sur le traitement des transactions de départ et d'arrivée des navires dans les ports, émerge depuis 2019 et la promulgation du Règlement 2019/1239. À l'échelle française, le rapport Hémar et Daher a mis le feu aux poudres de la compétitivité logistique française et France PCS est l'une des émanations en charge de faire de l'outil portuaire français une référence en matière de traitement des données.
Un premier aperçu théorique de la manière d'appréhender les guichets uniques en s'appuyant sur le cadre mis en place par les instances de l'ONU.
Définition brute
Si le concept de guichet unique a infusé la planète entière, de l'Île Maurice à l'Ethiopie et l'Ouganda en passant par des acronymes toujours plus inventifs, l'Australie, la Suède, Singapour et les Etats-Unis, il est difficile de remonter aux premières occurrences, depuis récurrentes, du terme guichet unique (single windows) dans les négociations de traités de commerce international. L'Organisation Mondiale des Douanes (WCO) nous offre une clarification de l'expression.
Un guichet unique est défini comme une facilité permettant aux parties impliquées dans le commerce et le transport de déposer des informations et des documents normalisés auprès d’un point d’entrée unique afin de remplir toutes les formalités officielles liées à l’importation, à l’exportation et au transit.
L'Organisation Mondiale des Douanes, que l'on ne contredira probablement pas
On retiendra trois choses : on se connecte à un portail électronique unique et les données sont saisies une seule fois, et le continent africain n'est pas en reste en termes d'initiatives sur le sujet, profitant peut-être de saut technologique comme ça pu être le cas sur la téléphonie mobile (versus la téléphonie fixe très peu utilisée) et le paiement mobile (versus le paiement par carte bancaire).
L'implémentation : Recommandation n° 33
L'UN/CEFACT et l'UNECE fournissent quant à elles des instructions de mise en œuvre détaillées et une seconde définition dont on va se délecter immédiatement dans la langue de Shakespeare :
A facility that allows parties involved in trade and transport to lodge standardized information and documents with a single entry point to fulfil all import, export, and transit-related regulatory requirements. If information is electronic, then individual data elements should only be submitted once. UN/CEFACT Recommendation No. 33 p.7
On s'autorise pour la suite à oublier que la porte d'un guichet unique sans utilisation de donnée électronique est entrouverte car il faut vivre avec son temps. Les trois modèles types de guichet unique sont (1) Single Authority e.g. en Suède les Douanes sont l'interlocuteur unique et consolident les tâches de plusieurs organismes publiques. (2) Single Automated System e.g. aux États-Unis les acteurs économiques soumettent les données dans un système unique qui se charge de redistribuer les informations aux autorités concernées. (3) Automated Information Transaction System e.g. à l'Île Maurice ou Singapour des instructions (approbation, paiement…) peuvent être transmises au système central en plus de "simple" données ou documents et certains calculs (taxes, prestations…) sont réalisés directement par ce même système central. Une dizaine d'études de cas ont été réalisées dans un rapport de l'UNECE : Case Studies on Implementing a Single Window, probablement, mais sans certitude, en 2016 selon le titre du document. Les éléments de réponse ont été remplis par les états opérateurs eux-mêmes.
La Recommandation n° 33 liste également une série d'outils existant visant à faciliter l'implémentation d'un guichet unique au sens du WCO. Elle mentionne toute une batterie d'autres documents de référence à l'initiative d'organisations concernées de près ou de loin par la notion de guichet unique. L'UNECE est le corps intergouvernemental de l'ONU en charge des questions économique pour l'Europe, l'UN/CEFACT en est une émanation dédiée à la facilitation du commerce électronique et elle produit nombre de standards sur la codification des informations (UN/LOCODE), la modélisation des données (UMM), des modèles de documents (UNeDOCS). L'UNCTAD est un autre corps intergouvernemental de l'ONU sur le commerce et le développement en charge d'ASYCUDA (Automated System for Customs Data) qui touche une centaine de pays. L'IMO (International Maritime Organization) a, juste avant la révolution sexuelle - hasard ou coïncidence ? - établi la Convention FAL (Facilitation of International Maritime) qui fait encore foi dans le domaine du trafic des navires et tend à être encodé au sein des guichets uniques. L'ICC (International Chamber of Commerce) passe le plus clair de son temps à créer des règles, normes et standards en matière de commerce international que bon nombre de pays adoptent conjointement pour faciliter leurs échanges, elle est notamment prescriptrice sur les sujets de document de transport multimodal au cœur de la problématique des guichets uniques et de l'eFTI, justement. Enfin, la WCO (Organisation Mondiale des Douanes) intervient au titre de la Convention de Kyoto révisée, du Modèle de données douanière et de la Référence unique de l'envoi qui visent respectivement à coordonner et unifier les inspections aux frontières, standardiser les données manipulées par les douanes et identifier de manière unique une marchandise lors de son transport. À toutes fins utiles, une liste de quelques corps de l'ONU est disponible ici.
Si on n’a vraiment pas le courage de s'attaquer aux guidelines de l'UNECE et que les turpitudes de la vie nous assaillent tel un essaim de frelon asiatique en plein mois d'août dans le grenier de tante Ursule qui sent la naphtaline, on peut se détendre en dessinant le schéma de principe d'un guichet unique. C'est à la portée d'un enfant de 8-10 ans. Sur la gauche de votre feuille A4 format paysage, dessinez un bonhomme bâton assez grand, à l'image de l'importance de l'individu dans nos sociétés modernes et du vide engendré par sa vie digitale. Partant de lui, une flèche pointant vers la droite. Au bout de cette flèche, un nuage ou une forme oblongue contiendra le mot "GUICHET UNIQUE" en lettres capitales, puisque l'enjeu est capital. Sur ce qui reste d'espace libre, laissez libre cours à votre imagination, des flèches à double sens vont et viennent vers tout un tas de mots que vous êtes libres de choisir. Au hasard parmi les plus évidents : Chambre de commerce, Services vétérinaires, Banques, Compagnie d'assurances, Bureau de tabac. La longueur des flèches importe peu du moment qu'elle connecte le Guichet unique et le mot-clé. La touche finale consiste à boucler la boucle d'une ultime et magistrale flèche du guichet unique VERS le bonhomme bâton, symbole ô combien disruptif qui matérialise avec une puissance quasi tellurique la possibilité d'une connexion forte et unifiée entre les individus et leurs autorités publiques. On n'hésitera pas à personnaliser le dessin avec un titre, un logo et des moustaches sur le bonhomme bâton. En somme, une activité ludique en cette période estivale, il ne tient à laisser s'exprimer les élans primesautiers de votre engouement pour l'harmonisation des modèles de données du commerce international.
Les initiatives de l'UE nous permettent une seconde description sur un périmètre plus étroit mais plus concret : celui des guichets uniques maritimes.
EMSWe : Système de guichet unique maritime européen
La Commission Européenne s'est emparée du vaste sujet des obligations de déclaration pour les navires qui entrent dans les ports de l'UE. Cela s'inscrit dans l'esprit de la Convention FAL de l'IMO et prend le nom de l'EMSWe (European Maritime Single Window environment). Tout cela est religieusement consigné par des moines copistes dans le Règlement (UE) 2019/1239 qui stipule en résumé qu'une démarche similaire à celle de l'eFTI est enclenchée pour la "mise en place d'un cadre juridique et technique concernant la transmission électronique des informations liées aux obligations de déclaration applicables aux navires faisant escale dans les ports de l’UE".
Tout ceci est en train de passer dans la moulinette soumise des Actes délégués et des Actes d'exécution qui donneront corps au Règlement en spécifiant les aspects fonctionnels et techniques des services offerts par l'EMSWe : gestion des utilisateurs, adressage commun, base de données (navires, localisation, hazmat, sanitaires). Il enverra la directive 2010/65/UE aux oubliettes à partir du 15 août 2025. Cette directive est peu contraignante en matière d'échanges de données et atteint ses limites dans la mesure où les guichets uniques nationaux existants peinent à échanger des données entre eux et que le paradigme du "Dites-le nous une fois " n'était pas encore central à l'époque.
Du côté de la réflexion de fond sur l'interopérabilité, la neutralité technologique et la multimodalité, on peut noter qu'une attention particulière est portée aux rôles complémentaires entre Guichet Unique Maritime (GUM voir GUMP s'il n'est que portuaire - ce qui est déjà pas mal, et NSW en anglais) et Port Community Systems (PCS ou CCS pour Cargo Community Systems). Si le GUM devient le point d'entrée unique des opérateurs pour transmettre les informations réglementaires aux administrations, qu'en est-il des ports équipés d'un PCS qui joue lui aussi le rôle d'agrégateur de données et de fédérateurs des différents acteurs de la communauté portuaire ? On s'oriente vers une polyvalence des systèmes : le GUM transmettra les informations au PCS, et si un opérateur est habitué à saisir ses données dans un PCS, c'est le PCS qui transmettra au GUM.
Il vit ce qu'il avait fait, et tout cela était très bijectif. Bram Van Hackerman
Guichet unique douanier de l'UE
Tant que cela ne finit pas en Parti Unique, on aurait tort de se priver de standardiser et de fluidifier les pratiques à l'échelle européenne en matière de gestion des marchandises. Aussi, le 28 octobre 2020, la Commission européenne a-t-elle proposé une initiative de guichet unique pour les douanes. Dans la mesure où l'union douanière voit passer 3.5 milliards d'euros de marchandise sous les yeux de ses agents, il est probable que quelques leviers d'amélioration soient activables.
La magie de l'opération consisterait à relier les systèmes gérant les exigences douanières et ceux gérant les exigences non-douanières dont l'un des plus connus est TRACES (Trade Control and Expert System) pour les services vétérinaires sanitaires. Cela repose sur un élément central imaginé par la : l'échange de certificats du guichet unique douanier de l'UE (EU CSW-CERTEX). Tout ceci a démarré sous la houlette du DG TAXUD en 2016 avec le lancement d'une analyse d'impact, suivie d'une consultation publique en 2018-2019 et de la publication de l'analyse d'impact en 2020. La coopération B2G et G2G nécessitant une réflexion approfondie et laissera la place à la constitution d'un collège d'experts similaire au DTLF pour l'écosystème eFTI.
Le rapport Eric Hémar et Patrick Daher
C'est un rapport éponyme à ses rédacteurs respectivement président de l'Union TLF et président du groupe Daher, publié en septembre 2019 à la demande du ministère de l'économie. Il s'intitule Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable.
Et conclut avec six mesures phares pour que la France tire mieux profits de ses quatre portes internationales que sont Dunkerque, Roissy, Le Havre et Marseille, qu'elle remonte dans les classements internationaux et devienne un carrefour logistique stratégique .
France PCS
Il s'est échappé des fumerolles retombées du rapport Hémar et Daher une association d'acteurs privés : France Logistique dont le but est de soutenir et porter les mesures proposées. Dans l'immédiat, nous nous intéresserons à France PCS, un GIE soutenu par France Logistique. France PCS est formée par MGI et SOGET, acteurs historiques du PCS en France, dans le but de doter de la France d'un outil à la hauteur de ses ambitions.
Témoignage des acteurs du marché
Un webinaire animé par SupplyChain Village et disponible ici a donné la parole à plusieurs acteurs de la communauté logistique portuaire :
- Roberto Alongi, chargé de mission au DG MOVE
- Julien Fernandez, chef du bureau de la stratégie et du développement portuaire à la DGITM et DST
- Jérôme Besancenot, président du groupe PROTECT et directeur du projet transition numérique HAROPA Port
- Hervé Cornède, président de France PCS
Avec Roberto Alongi, on y discute du Règlement 2019/1239 - et de son prédécesseur la directive 2010/65 qui parlait de numérisation en oubliant l'interopérabilité - en rappelant que son but est de promouvoir la mise en place de guichets uniques maritime grâce à des spécifications d'harmonisation. En coulisse, cela passe par la création d'un dataset commun à TOUS les guichets uniques et contenant TOUTES les informations que les acteurs sont amenés à utiliser dans le cycle de vie d'une marchandise sur le territoire européen. Sur scène, cela implique la création d'interfaces de saisie (nouvelle application et prise en charge des outils historiques, notamment nos bons vieux tableurs si populaires) et de reporting (Le RIM : Reporting Interface Module) pour les hommes et d'interfaces de programmation pour les machines.
La mise en place va reposer sur la Commission européenne pour la partie modèle de données, interface, gestion des accès et base de données commune et sur les Etats membres pour l'adaptation des systèmes existants et le support SAV. Rendez-vous en 2025 et régulièrement d'ici là pour la promulgation des actes délégués.
Avec Julien Fernandez, on y discute de plusieurs mots d'ordre capitaux : Harmonisation (des UI et des données), Zéro papier et OOP (Once-only principle ou principe du "Dites-le nous une fois"). Ce sont autant de contraintes que l'on s'impose que l'on souhaite voir se transformer en opportunités via un système qui ne sera pas centralisé, mais un réseau d'application flexible. Et en termes d'opportunités, Hervé Cornède rappelle que l'une des expertises de France PCS est d'utiliser son expertise technologique et logicielle pour améliorer les processus dans une démarche collaborative et neutre en agissant comme tiers de confiance. Le compromis essentiel entre s'adapter aux spécificités d'un opérateur au risque de faire du sur-mesure et orienter le process métier vers plus de facilité technique est au cœur des réflexions concernant les GUM. Seule la réponse à la question "Quelle valeur apporte-t-on ?" peut permettre de distinguer le bon grain de l'ivraie. C'est un travail d'équilibriste et même au sein de l'IPCSA (International Port Community Systems Association), le périmètre des PCS est aujourd'hui âprement débattu.
Avec Jérôme Fernandez, représentant de PROTECT, organisme qui promeut la dématérialisation dans les ports européens depuis 1992, les tenants techniques du GUMP sont abordés ainsi que son agencement avec les éventuels PCS existants et à venir. Un jeu de vase communicant entre les GUMP et les PCS semble être la solution la plus pertinente pour continuer à tirer profit de la nature opérationnelle des PCS dont l'activité englobe parfois à quelques détails près seulement les exigences d'un GUM.
Qui dit migration d'un écosystème à l'autre dit pas mal de nœuds au cerveau pendant la période de transition, c'est une autre préoccupation majeure que de conserver une qualité de service égal sans discontinuité d'ici la bascule complète. Bascule complète qui, outre l'interconnexion des ports, vise l'interconnexion des ports et de l'hinterland.
Concernant d'autres sujets en vrac :
- La cybersécurité est un point de vigilance particulier notamment vis-à-vis des réticences des acteurs à adhérer à des plateformes de ce type.
- Il n'est pas exclu que les plateformes s'ouvrent à des pays hors UE, un dialogue avec l'IMO et les pays de l'Europe de l'Est sont en cours.
- Guichet unique ne veut pas dire système unique, l'étoile polaire demeure l'interopérabilité au sein d'un réseau fédéré et d'une constellation d'applications.
- La clé pour la suite est le RIM en cours d'élaboration par la Commission européenne, à tester par chaque État membre, puis l'interface harmonisée à l'échelle nationale à élaborer par chaque État membre sur la base des spécifications de l'UE. Des démonstrateurs pourront prendre vie dès que le RIM est lancé.