La Convention CMR est un texte international sur le transport international de marchandises par la route, ratifié par l'Europe élargie (55 pays). But pas concret : Uniformiser les conditions de contrat. But plus concret : Décrire les documents à utiliser pour contractualiser le transport et détailler les responsabilités du transporteur. La Convention CMR est aussi vieille que le container ISO et ronronne paisiblement mais son trublion de petite sœur l'eCMR, dans les cartons depuis 2008, a fait quelques vols d'essai depuis 2017 sans sortie de route majeure et se stabilise doucement mais sûrement. On n'est pas sur du Mad Max mais c'est une petite révolution routière et c'est l'occasion d'un bilan en lien avec l'eFTI, la sacro-sainte interopérabilité et l'effrayante multimodalité. Tout ça n'est pas gagné, mais ça a le mérite de faire couler de l'encre.
Origine
La Convention relative au contrat de transport de marchandises par route fait partie des quelques ultimes acronymes francophiles sur la scène du commerce international régie par l'ONU. Appelons-la Convention CMR. C'est l'une des conventions de Genève, signée en 1956, modifiée substantiellement en 1978 sur l'indemnisation et en 2008 sur la lettre de voiture électronique. Elle est encore régulièrement adaptée au gré des nouvelles ratifications et pour l'adapter à la lame de fond de la dématérialisation. 55 pays ont ratifié la Convention, essentiellement d'Europe plus 2 pays du Maghreb, 5 pays du Moyen-Orient et 1 pays en Asie.
Les grandes lignes
Dans ses grandes lignes, le texte agit comme toute norme, il pose des concepts tantôt fédérateurs et pragmatiques, tantôt indigestes et creux. Plus sérieusement, ce genre de texte a pour ambition de poser les fondations pour uniformiser les pratiques dans un secteur d'activité. En l'occurrence harmoniser la contractualisation dans le transport international de marchandises par route. Par exemple quand il s'agit de définir les responsabilités entre le transporteur et son commanditaire. Dans la mesure où l'on a déjà donné de notre personne pour une analyse approfondie de texte de loi, place aux faits :
Trois exemplaires de CMR sont requis : (1) Expéditeur (2) Marchandise (3) Transporteur. Ça fait trois fois plus de coups de tampons, pour le bonheur des douaniers de tous bords.
Des informations sont systématiquement requises :
- Lieu et la date de son établissement.
- Nom et l'adresse de l'expéditeur.
- Nom et l'adresse du transporteur.
- Lieu et la date de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison.
- Nom et l'adresse du destinataire.
- Dénomination courante de la nature de la marchandise et le mode d'emballage, et, pour les marchandises dangereuses, leur dénomination généralement reconnue.
- Nombre des colis, leurs marques particulières et leurs numéros.
- Poids brut ou la quantité autrement exprimée de la marchandise.
- Frais afférents au transport (prix de transport, frais accessoires, droits de douane et autres frais survenant à partir de la conclusion du contrat jusqu'à la livraison).
- Instructions requises pour les formalités de douane et autres.
- Indication que le transport est soumis, nonobstant toute clause contraire, au régime établi par la présente Convention.
D'autres sont requises en l'absence de clause qui ne nous soumettrait pas le contrat à la Convention CMR :
- interdiction de transbordement.
- Frais que l'expéditeur prend à sa charge.
- Montant du remboursement à percevoir lors de la livraison de la marchandise.
- Valeur déclarée de la marchandise et la somme représentant l'intérêt spécial à la livraison.
- Instructions de l'expéditeur au transporteur en ce qui concerne l'assurance de la marchandise.
- Délai convenu dans lequel le transport doit être effectué.
- Liste des documents remis au transporteur.
Gérer les litiges
De manière générale, le transporteur est responsable des dommages causés à la marchandise sauf dans certains cas identifiés comme une insuffisance des indications fournies par l'expéditeur sur la lettre de voiture, une irrégularité des documents en jeu dans les formalités de douane ou un dégât causé par un emballage défectueux. Le transporteur est tenu de vérifier l'exactitude des informations fournies sur la lettre de voiture ou émettre des réserves s'il n'y a pas de moyens raisonnables de les vérifier (emballage, scellé des douanes…). Si l'exécution du contrat est impossible dans les conditions prévues initialement, une série de dispositions est envisagée e.g. dépôt immédiat de la marchandise, garde de la marchandise par un tiers ou revente de la marchandise en cas de frais de garde excessif.
En cas de versement d'indemnités liées à la marchandise, le calcul du montant se fait sur la base du cours de la Bourse, du prix courant du marché ou de la valeur usuelle des marchandises équivalentes. Les Droits de tirage spéciaux (DTS) sont utilisés pour plafonner le montant d'indemnité à 8.33 unités de compte par kg de poids brut manquant. 1 DTS = 1.30€ en ce moment. Les DTS sont une unité de compte du FMI, on a eu utilisé le franc-or jusqu'en 1978.
Les transporteurs successifs s'échangent des reçus datés et signés et un exemplaire supplémentaire de lettre de voiture doit être édité pour renseigner l'identité du deuxième transporteur.
La FAQ de l'IRU (voir suite) recense de manière éclairante bon nombre de questions pertinentes en matière de litige.
Protocoles additionnels
Le protocole de 1978 amende le calcul des indemnités pour passer du franc-or au DTS. Une histoire d'Accords de la Jamaïque qui ne nous intéresse pas directement ici.
Le protocole de 2008 accepte l'eCMR au même titre que la CMR historique en version papier et coule une nouvelle dalle de fondation vierge pour des constructions nouvelles et modernes : la version électronique de la lettre de voiture doit respecter les mêmes exigences que la version papier et aller au-delà en associant la lettre de voiture et son signataire via signature électronique et en garantissant l'intégrité des informations (pas d'altérations). Les contraintes sont décrites, pas la manière de s'y conformer.
Mise en application
La Convention CMR représente les fondations, donc le but du jeu est de construire par-dessus, ce que s'est attaché à faire l'IRU (International Road Transport Union) en mettant à disposition en 1976 un modèle de lettre de voiture (waybill, consignment note, par abus de langage CMR) amendé depuis et toujours utilisé. L'IRU spécifie un quatrième exemplaire dit administratif réservé à des procédures administratives et ajoute que l'exemplaire de la marchandise est assigné au réceptionnaire (consignee) de la marchandise.
Partant de là, un univers sans limite de jurisprudence s'ouvre immédiatement grâce à l'IDIT (Institut du droit international des transports) qui recense les litiges et décision de justice en matière de CMR. Il y en a pour tous les goûts, le tout dans un jargon technico-administratif enlevé et bigrement instructif.
L'ère papivore a de beaux jours devant elle mais le protocole de 2008 qui entérine l'eCMR tente de faire un pas de plus dans l'ère des intelliphones auxquels nous sommes tous suspendus chaque jour que Dieu fait, tous chauffeurs de camions ou technocrates que nous sommes. Chacun est donc désormais en mesure de proposer une solution pour retranscrire, partager et faire transiter les lettres de voiture au format électronique, avec la liste de ses avantages long comme le bras et déjà trop entendus : économie de temps, d'argent, sécurisation, centralisation, passage au temps réel, diffusion. La première transaction transfrontalière a eu lieu entre la France et l'Espagne, une première menée par l'ASTIC (Asociación de Transporte Internacional por Carretera) et la FNTR (Fédération Nationale des Transports Routiers) le 19 janvier 2017. Au Danemark, l'ITD parle du développement d'une solution que les danophones pourront explorer. Des initiatives existent également au Pays-Bas, au Benelux et en Europe de l'Est. À grand renfort d'API, QR Code et autres DLT, des cas d'usage ont pu être testés e.g. une caméra scanne la plaque d'immatriculation d'un camion à la frontière, envoie le numéro à la base de données des douanes qui interroge la base de données d'un opérateur eCMR pour connaître le contenu du camion à la frontière - le douanier prend ou pas la décision d'effectuer un contrôle supplémentaire sur cette base.
C'est là que notre sujet routier rejoint ses confrères ferroviaires et fluviaux dans un tourbillon multimodal au sein de l'eFTI : le fourmillement de solutions devra se soumettre à l'impératif d'interopérabilité, de neutralité technologique, d'intégrité des données et de leur certification.
La convention CMR a beau se limiter (si l'on veut) au transport routier, la complexité de la jurisprudence, le traitement des spécificités locales (on lit dans certains articles de la Convention CMR "si la législation du pays (...) le permet", on note l'importance de l'arrêté du 9 novembre 1999 en France) et l'absence, pour le moment, de réseaux fédérés nous donnent une idée des efforts considérables et de l'orchestration virtuose en vue de construire un écosystème eFTI à une échelle européenne. Tant que cet écosystème n'a pas atteint une taille critique, il sera difficile d'asseoir sa légitimité. Les ramifications de la CMR avec d'autres conventions comme l'ADR sur les emballages et l'étiquetage des marchandises dangereuses ou le régime TIR qui vise à simplifier les documentations douanières sont autant de phénomènes existants qu'il faudra englober dans l'écosystème final.
Il faudra pouvoir faire confiance au tiers qui traitera la donnée et les institutions des pays devront être en mesure d'interconnecter leurs systèmes pour s'échanger des informations en temps réel. À partir du moment où un tiers privé devient opérateur eCMR, les acteurs de la chaîne du transport délèguent la gestion de données commerciales, opérationnelles et confidentielles sur une plateforme dont on n'est pas propriétaire. À partir du moment où la douane souhaite basculer vers l'utilisation de l'eCMR, il lui faudra être capable d'ingérer des données en provenance de plateformes mutualisées ou bien en provenance d'une constellation d'opérateurs avec lesquels les transporteurs travailleront pour créer et éditer les eCMR. L'enjeu serait de créer une plateforme permettant le traitement intelligent de documents afin de garantir la véracité des données échangées entre les différents systèmes de la chaîne de transport.
Fun fact (ou pas) : Les transports postaux, funéraires et de déménagement ne rentrent pas dans le giron de la convention CMR.
Ça vous fait une belle jambe.